« La conception d’une ville inclusive est étroitement liée à la prise en compte des usages et des besoins. Cela implique en conséquence de s’inscrire dans une démarche de co-conception de projets et de porter une grande attention au diagnostic sur lequel va s’appuyer cette démarche. En effet, les choix d’aménagement sont contextuels. Leur pertinence ou leur adéquation aux besoins et usages doivent d’abord être évaluées au regard de ce processus de co-conception. Cela apparait aussi important, si ce n’est plus, qu’un choix sur la base de critères techniques.
Concilier un ensemble de contraintes
De ce point de vue, le processus de co-conception peut s’envisager avant tout comme une possibilité de trouver des solutions de compromis pour concilier un ensemble de contraintes :
- Les contraintes physiques, urbaines, économiques ou sociologiques qui déterminent à la fois la faisabilité des projets et les conditions de la participation des usagers.
- Les points de vue et intérêts différents des décideurs, des experts/professionnels et des usagers… sachant que les usagers/ habitants (actuels et futurs) sont les destinataires de ces projets.
- La nécessité de concilier des besoins divers. L’intérêt d’une démarche participative bien menée est notamment de favoriser l’expression des besoins dans toute leur diversité. Le cas échéant, cela peut mettre en évidence des intérêts contradictoires. La démarche participative peut permettre d’aborder la question de l’exclusion dans l’espace public, non seulement dans son principe mais surtout dans la manière dont elle limite au quotidien les activités de certaines catégories d’habitants. Cela peut se faire notamment en croisant un travail d’enquêtes, des entretiens individuels ou collectifs, des ateliers participatifs, etc… On peut aussi se poser la question de la manière dont on intègre aux projets des enjeux environnementaux qui relèvent de l’intérêt général mais n’entrent pas nécessairement en résonnance avec les pratiques ou besoins actuels des usagers.
- L’articulation entre proximité et mobilité. Dans le cas des personnes handicapées ou âgées par exemple, cela suppose de concevoir à la fois l’accessibilité du logement et des abords, la possibilité de se déplacer de manière autonome dans le quartier (et d‘y trouver un ensemble de services « de proximité ») et la possibilité d’accéder de manière autonome à un ensemble de services urbains (services publics, commerces, équipements publics, activités professionnelles ou de loisir…)
Lever le poids des « a-priori »
Par expérience, il me semble que divers facteurs doivent également être pris en compte dans la mesure où ils déterminent le champ des possibles dans le cadre de ces démarches participatives :
- Ce qu’on pourrait appeler « le poids des a-priori » et « l’assignation des rôles ». Les catégories d’usagers sont souvent pensées sur la base de typologies pré-établies, y compris en termes de besoins. Les choix opérés dans ce cas peuvent aboutir à une segmentation des solutions proposées mais ne pas répondre à des enjeux sociétaux plus larges, concernant par exemple le lien intergénérationnel et la place des personnes âgées. La plupart sont en effet plutôt valides et autonomes mais elles sont souvent appréhendées sous l’angle du grand âge et de la dépendance.
- Les modalités de décision, dans un espace de négociation entre décideurs, experts, financeurs et usagers qui n’est pas nécessairement égalitaire et qui peut être contraint par les dispositifs publics de financement ou par les contextes politiques locaux. Pour afficher l’ambition d’un projet, il n’est pas toujours évident de proposer un aménagement « modeste » mais co-conçu avec les habitants plutôt qu’un projet plus séduisant, souvent plus coûteux, mais dont l’adéquation aux besoins n’est pas totalement assurée
- Une attention accordée au « projet d’aménagement», de sa conception à sa réalisation, en accordant moins d’importance à son évolution au fil du temps, à la manière dont il sera approprié, réapproprié voire détourné par ses usagers et aux besoins de gestion et de réinvestissement qui peuvent être nécessaires.
- Une sous-estimation des moyens nécessaires à la mise en place de la démarche de co-conception. A la fois en termes de moyens humains ou nécessaires à l’accompagnement des projets participatifs (en amont, pendant, en aval du projet) et en termes de méthodes de travail. La prise en compte des temporalités différentes des démarches participatives et des plannings techniques est souvent évoquée comme une des conditions de réussite des projets participatifs. Elle implique un minimum de remise en question et de réinvention des modes de faire des opérateurs. » propos recueillis auprès d’Arnaud Caloin*.
« Merci Arnaud de nous avoir partagé ton regard très pertinent sur la ville inclusive, qui s’appuie sur une longue expérience de terrain dans les domaines de l’aménagement du territoire et du logement. » JF Trochon, fondateur de Béguinage & Cie.
Biographie :
* Arnaud Caloin est sociologue de formation. Il travaille depuis une trentaine d’années sur les politiques de l‘habitat, le développement social urbain (politique de la ville, renouvellement urbain) et les démarches de développement territorial. En tant que directeur études, recherche et animation métier du groupe Habitat en Région, il a assuré le suivi de l’étude réalisée en 2018 par Béguinage et Cie à Vieux Condé (59) sur les pratiques et besoins des personnes âgées dans le quartier Solitude Ermitage.